Un juge anglais estime que l’accès à des données de SAP au travers d’applications tierces doit donner lieu au paiement de licences à l’éditeur allemand. Shocking ?
C’est un jugement qui risque de chagriner les utilisateurs hexagonaux de SAP, même s’il émane d’un juge britannique : jeudi dernier, la cour royale de justice, saisie par l’éditeur de Walldorf, a estimé que les accès indirects, ces licences que SAP réclame pour accéder aux données de ses systèmes au travers d’applications tierces, étaient légitimes. Le groupe Diageo, un géant des boissons alcoolisées, contestait le bien-fondé de ces droits d’usage réclamés par l’éditeur européen.
Le groupe londonien est client de SAP depuis 2004, et s’acquitte de frais de licence pour mySAP Business Suite, avec, pour base de calcul, l’utilisateur nommé. En 2011 – 2012, Diageo lance deux nouveaux projets, baptisés Gen2 et Connect. Tous deux bâtis sur Salesforce.com, ils permettent respectivement aux équipes de Diageo de suivre les interactions avec les clients et à ces derniers de passer directement des commandes. Mais ces systèmes sont surtout connectés à SAP, via un outil appelé SAP Exchange Infrastructure (PI). Si cet utilitaire fait l’objet d’une licence dûment acquitté par Diageo, SAP estime que c’est insuffisant. Et que son client devrait aussi s’acquitter de droits d’usage pour les utilisateurs de Gen2 et Connect accédant aux données de mySAP au travers de PI. D’où le litige.
SAP réclame 64 millions d’euros
C’est l’interprétation de l’éditeur qu’a suivie la justice britannique. Avec, potentiellement, des conséquences très lourdes pour Diageo, SAP réclamant en effet environ 64 millions d’euros au groupe britannique, pour l’intégration des données issues de ses systèmes aux deux applications Salesforce. Pour le géant des boissons alcoolisées, la douloureuse est difficile à avaler : elle représente l’équivalent de ce que le groupe a payé à SAP entre mai 2004 et novembre 2015. La justice britannique a toutefois décidé de reporter le calcul de l’amende, du fait de son incapacité à déterminer le nombre de clients ayant accédé au système Contact ou à établir le nombre de salariés utilisateurs de Gen2 qui ne sont pas déjà couverts par les licences SAP.
Pour les clients de l’éditeur allemand – soit une large part du CAC 40 en France -, ce jugement portant sur ce qui reste la principale pomme de discorde entre SAP et ses utilisateurs est une mauvaise nouvelle. Même si la décision de la cour royale de justice est évidemment limitée au Royaume-Uni, les cas relevant des accès indirects sont multiples, en particulier sur des systèmes comme SAP centralisant tant de données essentielles à l’activité : affichage de prix sur un site Web, réalisation de commandes sur un site marchand, suivi des commandes pour les clients…
« Une épée de Damoclès »
Une étude de l’USF, le club des utilisateurs SAP francophones, montrait en octobre dernier que 90 % des clients de l’éditeur jugent la notion d’accès indirects pas claire. Plus globalement, 86 % du panel sondé n’est pas satisfait des métriques de licensing de l’éditeur. L’USF soulignait alors que le problème résidait dans l’absence de définition contractuelle de ces accès indirects : « les clients de SAP y voient une épée de Damoclès », notait Patrick Geai, vice-président de l’USF. Si SAP se refuse toujours à donner une définition contractuelle de ces accès, sa position semble évoluer lentement sur ce sujet de crispation. A l’automne dernier, Marc Genevois, le directeur général de SAP, ouvrait la porte à la création de nouvelles métriques adaptées à des usages spécifiques, en particulier l’IoT.
Reste que, pour les clients de l’éditeur, tout risque n’est pas écarté, loin s’en faut. Comme le montre d’ailleurs l’affaire Diageo qui déterre des intégrations vieilles de plusieurs années. Or, très souvent, les dissensions naissent de contrats vieux de plusieurs années, voire décennies, intégrant une définition de l’usage des logiciels SAP ne correspondant plus à la réalité du terrain. Ce sont ces décalages que viennent sanctionner les audits de licences réalisés par l’éditeur. En octobre dernier, Marc Genevois indiquait que l’audit représentait une part du chiffre d’affaires de la filiale située dans le bas d’une fourchette allant de 10 et 30 %. Soit tout de même entre 85 et 170 millions d’euros à l’année (sur la base des résultats de 2015) !